Portfolio

Texte écrit dans le cadre du séminaire d'écriture du Master 1 Création Littéraire, en partenariat avec les Master Monde du Livre.

La Fille du Papillon

Tu penses comprendre, mais tu es de ceux qui veulent sentir les papillons dans leur ventre. Les miens grignotent mes organes et je me laisse faire en attendant qu’ils s’éteignent.

Le regard perdu entre les lignes, elle serre sa mâchoire et son stylo. Combien de temps a-t-elle fixé cette page aujourd'hui ? Soupirante des mots, elle attend leurs ordres. A-t-elle assez bu de son thé préféré pour que l'inspiration lui vienne ? Il a refroidi.
Elle tourne les pages sans vraiment les lire. Il est l’heure de retrouver ses amis. Elle est toujours bien entourée, pourtant ça ne la motive pas à répondre présente. Elle a trop à penser.
Elle se lève, éteint la bougie qui veillait sur ses écrits et pénètre son appartement sombre. Il est désordonné, comme ses idées. Elle range, elle essaye de garder son esprit occupé. Elle se dit qu’elle aurait pu chercher à comprendre ce que son cerveau tentait de lui faire écrire. Elle se met trop la pression.
Elle sort enfin. Ses amis ont commandé pour elle. Ils fêtent en avance son prochain contrat. La pression.

Celle que je suis devenue

Sienne a coupé les ponts avec ses parents il y a des années. Elle les a détesté, méprisé. Aujourd'hui elle pleure son père.
Texte inspiré des Armoires Vides d'Annie Ernaux.

Chère Maman,
La plupart des gens deviennent souvenirs. Vous n’étiez rien de plus jusqu’à ce matin. C’est ce que Papa est devenu pour nous tous. J’aurais aimé recevoir tes lettres plus tôt.
Raconte-moi Maman, comment était-il ces dernières années ? Te traitait-il toujours avec autant d’amour ? Célébrait-il la vie comme il se devait ? Je l’imagine danser avec toi autour du feu, guidé par la mélodie de la guitare. Son cœur portait tant d’affection pour les choses simples. Quiconque désirait être heureux aurait pris exemple sur lui. C’est ce que tu as fait à l’époque. Je ne comprenais pas comment tu pouvais être heureuse après ce qui s’était passé, mais tu ne l’étais pas. Tu souriais. Tu continuais de danser. Tu essayais. Et je n’ai pas vu tes efforts. Je t’en ai même voulu. Pardon pour ça.
Je pense que j’étais envieuse. Tu sais que je l’ai toujours été. J’enviais les adultes qui pouvaient rester debout toute la nuit après nos spectacles, j’enviais Grand-Mère Ona qui cuisinait de si bons plats que les mourants en parlaient encore, j’enviais Lorenzo qui se fichait de s’intégrer aux autres à l’école. J’enviais toujours Lorenzo, tu te souviens ?
Je sais que tu m’as écrit pour me parler de Papa, mais nous n’avons pas échangé depuis des années à cause de ma colère et de ton déni. C’est de lui dont nous devrions parler avant tout. Tu me reprochais de ne jamais communiquer ce que je ressentais et, comme souvent, tu avais raison. J’aurais aimé que ces vacances n’arrivent jamais. Elles avaient bien commencé pourtant. Il ne m’avait fallu qu’une soirée pour ne plus jamais vouloir repartir. J’étais de nouveau n’importe où chez moi. N’importe où, sauf loin de notre famille. Je dois dire que ça m’a fendu le cœur de ne pas pouvoir monter avec mon si petit frère dans la grande roue. Je le voyais monter si haut, prêt à toucher les étoiles. D’en bas, je l’imaginais les yeux brillants, la main tendue vers le ciel. Puis sa balancelle est redescendue. Papa a crié, mais je n’entendais rien. C’était comme si Dieu avait cueilli son âme.
Je lui en ai voulu à ce Dieu que tu m’avais vendu comme bon. Tu n’étais pas la seule à l’avoir fait, tout le monde essayait de me consoler en me parlant de paradis, d’âme en paix et d’autres trucs qui me donnaient envie de hurler qu’il n’avait pas besoin de tout ça puisqu’il nous avait nous. J’ai commencé à haïr tous ceux qui me parlaient de Lui et à protester contre son omniprésence dans nos vies. J’avais besoin de ne plus croire en tout ça. Quand j’ai refusé de porter ma croix et mon collier de baptême à l’enterrement j’ai cru que tu allais t’évanouir, mais quand je t’ai dit que je ne croyais plus en Dieu tu n’as pas cillé. Doutais-tu, toi aussi ? Ou t’es-tu rendue compte que me détourner de la Bible m’avait permis de me plonger en d’autres livres plus sains pour une fille endeuillée de mon âge ? Tu le disais toi-même : ça me faisait du bien. Je suis passée de l’élève qui pleurait quand on lui disait de lire un simple poème à celle qui écrivait des pièces de théâtre pour les jouer avec ses copines à la récrée. Pour tout te dire, je pense que la littérature m’a sauvé la vie.
Combien de livres ai-je lu au collège, cachée sous la couette, en pensant que tu ne le saurais jamais ? Combien en as-tu glissé dans la boîte aux lettres en voulant me faire croire que la famille me les offrait ? Bien sûr je savais déjà que c’était toi, personne n’aurait pu faire une sélection aussi personnelle. Merci pour tous ces amis imaginaires que tu as choisi avec soin. C’est grâce à eux si j’ai pu rentrer dans le club de littérature au lycée. Enfin, ce n’est pas la partie la plus brillante de ma carrière de lectrice. Être au milieu d’une bande d’intellectuels ne m’a pas vraiment réussie. J’ai fini par mépriser tout ce que tu m’avais offert, y compris ces précieux souvenirs littéraires. Comprends-moi Maman, aucun membre ne connaissait l’existence de Lorenzo, ni même de notre cirque, aucun ne croyait en Dieu, aucun ne pensait à moi comme la bohémienne. J’avais réussi à tout cacher, je pensais être acceptée. Je voulais faire partie d’un groupe qui n’avait pas construit l’engin qui avait mené mon frère plus près du ciel. Et ça a si bien marché, que je vous ai renié entièrement. J’ai commencé à croire ce que disaient mes amis de l’époque au sujet des gens du voyage : vous n’étiez que des squatteurs, de sales clochards, vous arnaquiez les honnêtes gens qui venaient voir des spectacles bas-de-gamme. Après tout, comment des gens si cultivés pouvaient avoir tort sur un tel sujet de société ? A les écouter, nous étions partout, prêts à leur voler tout ce qui dépassait de leur poche, un véritable fléau, la peste incarnée.
Personne ne veut être un tel poids pour la société, alors j’ai fui. L’entrée à la fac a été une délivrance. Je pensais ne plus jamais croiser quelqu’un de notre espèce, j’espérais me fondre dans la masse de littéraires qui échangeraient à propos de leurs auteurs préférés, je voulais y rencontrer des artistes qui me parleraient des heures de leur dernière œuvre et de leurs influences. J’ai bien été déçue au début quand je me suis rendue compte qu’il ne s’agissait en fait que d’un lycée où les élèves avaient le droit de venir avec la gueule de bois en cours. Quel était l’intérêt de vanter la fac à des enfants dès le plus jeune âge si ce n’était au final qu’un grand bâtiment dans lequel de jeunes gens se rendent compte qu’ils ne vivront jamais leurs rêves ? Quelle tristesse. Je m’y suis résignée, comme les autres. Je voulais finir ce que j’avais commencé, comme les autres. J’étais enfin comme les autres. Quels autres ? Je ne les croisais pas en dehors des cours, je ne les connaissais pas. J’en suis venue à me demander s’ils existaient réellement. Rassure-toi, j’ai fini par les rencontrer ces autres. J’ai repensé aux gueules de bois de mes camarades, aux cris que j’entendais depuis ma chambre étudiante, à toutes ces soirées que j’ai méprisées alors que tout le monde s’amusait et, enfin, je me suis décidée à faire partie de la fête. C’était Halloween et j’avais vu bien trop de prospectus de soirées pour les ignorer. Je me suis glissée de groupe en groupe, écoutant un coup de la musique, un coup une anecdote jusqu’à retrouver certains visages familiers. On a parlé un peu de nos cours et beaucoup de nos vies. Nous partagions tous la même déception, mais quelques optimistes se remémoraient les spectacles qui leur avait donné envie de faire du théâtre et ne cachaient pas leurs yeux brillants. Le premier nous a parlé de Molière et de son langage déjà si moderne pour son époque. Le deuxième préférait la scène anglaise et nous vantait Shakespeare comme si nous ne l’avions jamais lu. La troisième adorait les pièces modernes comme celles d’Anouilh qui l’avaient déjà marqué au collège. La quatrième nous a parlé de Peer Gynt, de Henrik Ibsen et de son amour pour la mise en scène de David Bobée. Finalement, ce fût à mon tour et je me rendis compte qu’aucun nom ne me venait en tête si ce n’était ceux de notre famille. J’avais si honte Maman. Comment avais-je pu oublier tous les grands auteurs que j’avais lu ces dix dernières années ? Je me souvenais de leurs histoires pourtant, mais je me voyais mal baragouiner des résumés devant d’aussi fins connaisseurs. Les noms les plus classiques sonnaient grandioses dans leur bouche, et moi je me suis retrouvée à parler de Papa et toi. J’ai déblatéré sans m’arrêter, de peur que quelqu’un ne hurle de rire si j’osais reprendre mon souffle. J’ai parlé de tes tenues pailletées, de ta respiration parfaitement contrôlée, de la musique qui battait mon cœur quand je te regardais depuis les coulisses. Mais il a bien fallu que je m’arrête et, tandis que je réfléchissais au meilleur moyen de faire passer tout mon discours pour une immense blague, ils se mirent tous à sourire. Ils n’étaient pas narquois, encore moins provocateurs, et pendant un instant je ne comprenais plus rien. Puis ils se sont remis à parler tous en même temps. Leurs souvenirs d’enfance se sont « débloqués » comme ils m’ont dit. Tous étaient déjà allés au cirque, mais aucun ne s’était rendu compte que leur passion pour le spectacle était née sous un chapiteau. Je ne vais pas te mentir, j’avais envie de pleurer. Toute la honte avait disparu. Tous les efforts que j’avais mis dans une prétendue intégration n’avaient servis à rien, toute la pression que je m’étais imposée pour ne pas vous ressembler avait été vaine. Et je m’en fichais. Pour la première fois en dix ans, j’étais fière d’être Rom.
Ce soir-là nous avons décidé de ne plus nous contenter des cours, mais de provoquer notre chance. Nous avons écrit, mis en scène, répété et joué une pièce par semestre et par plaisir pendant trois ans. Nous avions retrouvé l’amour de la scène et nous ne l’avons plus jamais lâché. Répétition après répétition, au fur et à mesure de nos représentations, vous me manquiez de plus en plus. J’ai voulu vous appeler, vous rendre visite, amener mes amis découvrir vos spectacles, mais je n’ai jamais osé. J’y ai réfléchi longtemps et, un soir, je suis tombée sur Manque. Comme toutes les pièces de Sarah Kane, tu me l’avais offert pour mon club au lycée, quand on ne se parlait presque plus. C’était ta façon de me dire que tu n’attendais qu’un geste de ma part pour savoir que j’allais mieux. Et j’allais mieux, alors je te l’ai envoyé. Sans lettre d’accompagnement, sans adresse de retour, je me disais que si le colis se perdait c’était un signe de Dieu pour qu’on ne se parle plus. Car, oui, je crois en Dieu à nouveau maintenant. Je ne lui serai jamais aussi fidèle que toi, mais je crois en Lui.
J’avais besoin d’air, de beaucoup d’air. Tu l’avais bien compris, après tout nous avions connu le pire ensemble. Je ne te remercierai jamais assez de ne pas avoir repris le contact avant que je ne sois prête. Merci de m’avoir laissé partir pour mieux revenir, merci de m’avoir laissé être froide et odieuse quand tu n’as toujours été que chaleur et bienveillance. Merci de m’avoir tant fait découvrir, merci de m’avoir tant appris.
Merci pour tes lettres.
Je viendrai à l’enterrement.
Ta fille aimée,
Sienne.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer